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Tunisie – Portail de l’OpenData du gouvernement: Pas assez transparent mon fils !

Malgré le peu de moyens matériels et humains dont il dispose, l’unité de la cellule administrative dépendant du Premier ministère a fourni un bel exemple de réforme en dotant la Tunisie d’un portail dédié à la transparence : http://www.data.gov.tn. Publié pour le moment en version Béta, ce site implémente tous les besoins de l’OpenData. Tout au long de ces derniers mois, les services de Khaled Sellami, directeur de l’unité, n’ont fait que parcourir les séminaires et multiplié les concertations pour réussir le lancement de cette plateforme.

C’est donc une initiative à saluer surtout qu’on y dénote quelques bonnes surprises. Le site intègre en effet un questionnaire. Son but : identifier les secteurs les plus importants aux yeux des citoyens et dont ils veulent obtenir les données. Cette interaction permet donc au site de recenser les attentes des internautes. Et d’après les premiers résultats de ce questionnaire, les Tunisiens accordent beaucoup d’importance aux données concernant l’emploi, l’éducation et les finances publiques. Des informations dont une partie sont présentes sur le site. On regrettera toutefois l’absence de données sur les marchés publics et sur les subventions culturelles.

Le site met à la disposition des Internautes ces données dans le cadre d’une licence inspirée de celles de l’Open Government et de l’Open Knowledge Foundation. Il s’agit ici de deux références solides permettant aux citoyens et aux entreprises d’exploiter les données publiées en toute liberté et sans grosses contraintes autre que de citer la source.

Ce que diront les mauvaises langues

Mais beaucoup de choses restent à améliorer. Des mauvaises langues diront qu’il ne s’agit là que d’un simple site d’information classique et que ça n’a rien à voir avec l’OpenData. Ce qui motive leur pensée est que le site expose des données statistiques pendant qu’il convient de fournir aux internautes des données brutes. L’OpenData exige en effet que l’internaute puisse accéder à des jeux de données authentiques consistant par exemple en listings détaillés du nombre de demandeurs d’emploi inscrits dans chaque bureau d’emploi, ou en un listing des dates et des montants des marchés publics passés par chaque institution.

Au lieu de cela, le site data.gov.tn ne présente que de simples agrégations de chiffres aux niveaux régional ou national, rendant impossible toute compréhension des détails de la constitution de ces résultats globaux.

Ce que diront les puristes

Les puristes seront plutôt irrités à la vue du niveau des formats des documents publiés. La quasi totalité des fichiers ont été publiés sous format Word, Excel ou PDF. Des formats propriétaires privés d’entreprises telles que Microsoft et Adobe et dont l’usage devrait être banni dès lors qu’il s’agit d’OpenData.

Les responsables du site data.gov.tn devraient prendre en considération que l’OpenData exige de fournir des données exploitables sous toutes les plateformes et dans tous les logiciels selon des standards ouverts et connus (.txt, .csv, .odt, .rtf, etc.) définis par les organismes internationaux.

De plus, pour pouvoir vraiment être exploitables par des programmes informatiques, les données devraient logiquement être accessibles selon des interfaces (API) fournissant des données au format d’échanges standards (.json, .xml, rdf, etc.). Dans le cadre de la publication des résultats détaillés des élections par bureau de vote, le groupe OpenGovTn a ainsi mis en exergue la nécessité de disposer d’une API qui exposerait les données de manière à pouvoir les traiter par un programme informatique capable de générer des cartes et des graphiques interactifs.

Est-ce la bonne voie ?

Au niveau des données disponibles, il est évident que le travail qui reste à faire est colossal. L’Unité de l’Administration Electronique doit identifier les données qu’il convient de publier sur le site data.gov.tn. Mais la voie choisie par le ministère consiste à demander aux internautes de fixer les thèmes sur lesquels le site devra se focaliser en premier. Mais comment les citoyens peuvent-ils se prononcer sur les priorités des informations quand ils n’ont même pas une idée des données disponibles au sein de chaque ministère ?

Les membres fondateurs du groupe OpenGovTn et de la campagne ‘7ell’ (prononcée hél) -une campagne qui vise à faire pression sur la classe politique pour plus de transparence- proposent de commencer par établir un diagnostic patrimonial des données publiques disponibles au sein des différentes administrations.

Or, et jusqu’à la rédaction de ces quelques lignes, aucun travail de ce genre n’a encore été engagé par le ministère. Il semble donc urgent que le gouvernement suive un travail méthodique en vue de :

– collecter les données,

– les cataloguer de manière transparente,

– vérifier leur périmètre,

– les classer de manière cohérente,

– les compléter par des métadonnées pouvant les rendre intelligibles,

– et enfin les publier selon des formats ouverts et exploitables par toutes les machines. Car ce n’est un secret pour personne, tous les ordinateurs au monde ne sont pas forcement équipés de Windows Office ou d’Adobe PDF.

Transparence dites-vous ?

On s’interroge donc sur les raisons qui ont entravé la réalisation de ce travail sur de bonnes bases. Est-ce à cause du manque de moyens techniques et humains ? Est-ce à cause d’un manque de volonté politique de la part des ministères ?

Quand on se rappelle du refus de l’Assemblée Nationale Constituante (ANC) de publier les PV des commissions publiques et de communiquer les détails des votes, on a tendance à considérer sérieusement cette deuxième hypothèse.

Cette première version du site « OpenData » est un grand pas dans la rupture avec les pratiques de l’ancien régime où l’opacité était la règle d’or dans le travail des administrations. Mais la longue liste des imperfections entache, malheureusement, cet événement et laisse croire que les plus hautes autorités manquent encore cruellement de volonté pour appliquer la transparence dans leur mode de gouvernance.

Ces soupçons sont d’autant plus renforcés quand on voit que ces données sont disponibles seulement en arabe. Faut-il encore rappeler que parmi les citoyens et les investisseurs beaucoup ne parlent pas la langue arabe ? A-t-on pensé à l’image du pays à l’étranger ? Lors d’un séminaire organisé en mars 2012, la commission européenne a mis en exergue l’importance de l’OpenData dans l’économie d’un pays puisqu’il lui rapporte en moyenne 40 milliars d’euros. Comment le gouvernement souhaite-t-il ramener les investissements étrangers et relancer l’économie tunisienne s’il continue à vouloir cacher ce qui est de droit au citoyen ?

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